Elle se regarde dans le miroir et se dit qu’il faut qu’elle réagisse, ça fait 15 ans qu'elle se dit qu’il faut qu’elle réagisse et 15 ans qu’elle essaie par sursaut, par période, sans réussir à retrouver une image d’elle qu’elle pourrait supporter. Elle se scrute détail par détail, tout ce qu’elle se supporte pas, qu’elle ne supporte plus chez elle.
Ces cheveux blancs qui se propagent insidieusement, en commençant par sa frange qu’elle trouve presque grisonnante. Ses parents ont blanchit tard, elle espérait bénéficier de ce cadeau de la nature. Lorsque sa mère est décédée l’année précédente à 65 ans, elle avait juste quelques filets argents dans ses beaux cheveux bruns. Elle, à 35 ans, elle ne peut plus les cacher et elle a l’impression de les porter comme un étendard “regardez-moi, je vieillis”. Cependant, elle refuse de se teindre les cheveux, refusant de plier devant le diktat de la jeunesse éternelle et refusant de rentrer dans l'engrenage des teintures, où il parait quasi impossible de refranchir la barrière blanche par la suite.
Puis son regard glisse sur son visage, trop rond, des petites ridules apparaissant au coin de ses yeux, une ride plus profonde partant d’un vieille cicatrice fend verticalement son front quand elle fronce les sourcils. Des petits vaisseaux rouges sont visibles sur ses pommettes, elle trouve ça laid, que ça fait vieille alcoolo. Depuis quelques mois une surpigmentation souligne le rebord supérieur de ses lèvres et ça ne lui plaît pas non plus.
Ensuite elle regarde son corps dans sa globalité, des vergetures blanchies par le temps zèbrent son corps, elles sont apparues à l’adolescence. Celles sur les seins, quand ils ont poussé d’un coup, en 6ème, elle avait tardé à en parler a sa mère, trop honte, trop pudique, puis elle a essayé toutes les crèmes possibles et imaginables, rien n’y avait fait, ses seins resteraient définitivement lacérés. Les autres vergetures, elle les a récoltées lorsqu'elle a pris 25kg en un an, en 4ème. Comme si les événements qui l’avait poussé a cette prise de poids rapide ne l’avaient pas suffisamment marqué psychiquement, il fallait que son corps en garde aussi les cicatrices à vie, lui rappelant que l’on peut s’auto-punir d'être une victime. Ce poids, elle l’a perdu l’année suivante, mais quelques année plus tard, elle avait remis le couvert : 20 kg en un an et ceux là, elle ne les avait jamais perdus.
Ces fichus kilos bien installés, cet amas de graisse un peu partout autour de son corps. Vraiment partout, elle se dit que c’est un moindre mal car ça reste à peu près proportionné : elle a un visage rond, de gros bras, de gros seins, de larges hanches, un ventre bedonnant, des cuisses celluliteuses, elle déteste vraiment l’image de son corps, trop lourd, trop encombrant, qu’elle ne sait pas mettre en valeur, qu’elle bataille à habiller correctement. La mode n’est pas faite pour les grosses.
Elle se maquille pour se donner bonne figure, mettre en valeur ses yeux bleus, qu’elle trouve quelconques mais quand on les a bleus, il faut les mettre en avant, détourner le regard de tous les autres défauts.
Une nouvelle journée se profile, elle déposera les enfants à la crèche, à l'école puis se rendra au travail. Un travail intéressant qu’elle aime avec des collègues qu’elle apprécie. Tout n’est pas à jeter chez elle, elle se dit qu’elle a le cerveau qui ne fonctionne pas trop mal, elle est souvent distraire, tête en l’air, elle n’est pas aussi vive d’esprit qu’elle l’aimerait mais elle n’est pas sotte, ça au moins elle le sait. Bien que son père ait essayé de lui faire croire toute son enfance qu’elle était bonne à rien, sa situation actuelle lui prouve qu’il avait tord. Intérieurement, elle remercie sa mère pour la confiance en elle qu’elle lui a apporté, contrecarrant, au moins un peu, le poison des humiliations et phrases assassines paternelles.
Il y a des moment dans la vie où l’on dresse des bilans, à 35 ans, un bilan intermédiaire s’impose à elle.